Nous nous accorderons tous à dire que le COVID-19 a eu un impact réel au niveau social, économique et financier. Mais qu’en est -il des marchés immobiliers européens et notamment de l’immobilier commercial (bureaux & commerces) ?
Afin d’apporter notre contribution sur ce sujet, nous analyserons le comportement des contributeurs de l’évolution des prix de l’immobilier commercial sur cette période :
Le point sur la situation
Bureaux européens : marché locatif atone
Pour avoir une vision claire et objective du marché locatif de bureaux, il convient de s’intéresser à l’offre et la demande de m². L’offre est constituée du parc de bureaux existants ainsi que l’offre nouvelle de m² construits par les promoteurs. La demande est représentée par le besoin et la capacité des entreprises à loger leurs salariés et leurs activités dans des surfaces communes. La croissance du PIB et notamment la croissance de l’emploi tertiaire sont des déterminants clés de son évolution. Le rapport entre l’offre et la demande calculé grâce au taux de vacance = (bureaux non loués) / (total du parc immobilier).
En 2020, le marché de l’immobilier locatif européen a chuté de 41% avec près de 6 millions de m2 loués soit bien moins que la moyenne décennale de 9,5 millions*.
*Dans les 19 principaux marchés Européens entre 2011 et 2021.
Evolution de la demande de m2 de bureaux européens entre 2011 et 2020
Source : BNP Paribas Real Estate
Cette baisse de la demande s’est naturellement matérialisée par une hausse du volume de bureaux vides atteignant des niveaux très élevés* dans certains marchés comme Helsinki (12%), Varsovie (10%) ou encore Dublin (9%). Plus globalement, le taux de vacance moyen des 28 marchés européens de bureaux est de 6,8% en 2020, soit une hausse +1,1% sur l’année. Ce bilan sera potentiellement alourdi avec l’arrivée de millions de nouveaux m² en cours de construction et une demande (les entreprises) fragilisée par la crise sanitaire.
*Taux de vacance : volume de bureaux vide / stock total de bureaux
Source : BNP Paribas Real Estate & Gestion 21
Les conséquences n’ont pas encore impacté « officiellement » les valeurs locatives des marchés Prime (les immeubles les mieux localisés) mais elles se font déjà ressentir dans les négociations de baux où l’on commence à consentir d’importantes remises pour préserver le loyer affiché.
Les commerces en première ligne
Les mesures de confinement mises en place par les gouvernements européens pour palier la crise sanitaire ont fortement impactés les commerces.
Pendant qu’Amazon a vu son chiffre d’affaires exploser de +38% à près de 400 milliards de dollars, les acteurs du commerce traditionnels ont tous beaucoup soufferts y compris les leaders comme Primark (-24% de CA) ou H&M (-10% de CA). Ces contre-performances ont conduit ces entreprises à prendre un réel tournant vers une digitalisation plus forte. Certaines ont déjà acté des décisions radicales, comme Zara, qui a décidé de fermer 1200 boutiques en juin dernier.
Cette situation de marché a déjà été répercutée sur les marchés locatifs, y compris les marchés Prime (contrairement au bureau). En effet, les commerces de centre-ville (les plus prisés en temps normal), ont chuté de 10% à Londres et Amsterdam, atteignant même 13% à Dublin.
En effet, durant ces dix dernières années, l’essor du e-commerce a créé un environnement plus compétitif. Le modèle économique des commerces dépend des chiffres d’affaires réalisés par les commerçants. Ce CA est basé sur la consommation des ménages, agrégat économique présentant une forte récurrence. L’essor du e-commerce est venu interroger la récurrence de cette rente traditionnellement peu volatile, en proposant un nouveau mode de consommation.
Si la menace d’internet est réelle, la part de marché du e-commerce reste faible à ce jour dans la consommation globale. Néanmoins, la crise sanitaire actuelle pourrait accélérer cette tendance de consommation en ligne. En effet, tout comme nous avons eu l’occasion de s’accommoder avec les « réunions Zoom », de nombreux utilisateurs ont pu expérimenter pour la première fois un achat en ligne.
Nous restons cependant persuadés que le commerce physique n’est pas mort. Il s’est lui aussi adapté à cet environnement avec notamment le développement du « click & collect ». Il conviendra néanmoins d’être plus sélectifs sur l’emplacement des surfaces commerciales détenus et le business model des locataires hébergés.
Comment ont réagi les grands investisseurs dans cet environnement ?
En 2020 le marché de l’immobilier européen a été fortement impacté, avec un recul du volume investi de -23%, enregistrant ainsi son plus fort repli depuis la crise de 2008. Cette baisse a concerné la quasi-totalité des marchés dont :
– Les 3 principaux marchés européens : la Grande Bretagne -20%, l’Allemagne -20% et la France à -35%.
– Et de manière plus importante, les marchés les plus spéculatifs : l’Irlande -60% ou la République Tchèque -56%.
Cette baisse des volumes souligne le scepticisme des investisseurs alors même que les liquidités disponibles promettaient une année record. Beaucoup ont préféré ne rien faire plutôt que d’acheter dans les conditions proposées par le marché en 2020. Parmi les premiers investisseurs à déserter le marché, les fonds étrangers ont été particulièrement prudents avec une baisse drastique des volumes de -58%. Ils se sont d’avantage concentrés sur des levées de fonds opportunistes afin de se préparer à un éventuel ajustement des prix (ex. Blackstone a levé près de 10 milliards d’euros, au plus fort de la crise pour son fonds européen Blackstone Real Estate Partners Europe VI).
La baisse du volume de transaction est particulièrement frappante quand on se souvient que le 1er trimestre avait atteint des records historiques. Certains pays avaient atteint des niveaux de croissance exceptionnels comme la Finlande +120%, ou les Pays-Bas +78%.
Source : BNP Paribas Real Estate
La chute du volume de transaction s’explique par : le manque de visibilité concernant un retour à la « normale », l’impact des nouveaux usages mais aussi par l’inertie des prix du Prime* (les meilleurs actifs) qui ont été légèrement ajustés à la baisse à Amsterdam et Madrid mais qui sont globalement restés stables à Paris ou Berlin.
*La notion de rendement prime est essentiellement utilisée dans le secteur de l’immobilier d’entreprise. Le rendement prime désigne le taux de rendement minimum obtenu pour l’acquisition d’un bâtiment qui répond à des caractéristiques précises en termes de géographie, de taille ou de qualité.
Impact sur les valorisations : un marché à deux vitesses
En France, l’immobilier commercial est principalement accessible au grand public à partir de fonds cotés : les SIIC (Société d’investissement Immobilier Cotée) et des sociétés d’immobilier non cotées : les SCPIs (Société Civile de Placement Immobilier) / OPCIs (Organisme de Placement Collectif en Immobilier).
Pour résumer, au 31/12/2020, le marché l’épargne immobilière accessible au grand public des français se décomposait comme suit :
Source : IEIF
Sur l’année 2020 les 24 SIIC françaises ont vu leur prix moyen chuter de près de 30% (indice IEIF SIIC France). Tandis que dans le même temps leurs homologues non cotées, n’ont presque pas été impactées. Recul de -2,87% pour les OPCI, et hausse de + 1,12% du prix de part pour les SCPI (IEIF : Catégorie SCPI « entreprise »).
Pour comprendre ces écarts, il faut s’intéresser aux méthodes de valorisation. D’un côté les SIIC sont cotées en bourse, scrutées par les meilleurs analystes mondiaux, et dont le prix (cours de bourse) est librement fixé en fonction de l’offre et de la demande. De l’autre côté, on retrouve les fonds non cotés : les SCPI et les OPCI. A l’inverse des SIIC, le prix de part n’est pas fixé par le marché mais par des experts immobiliers mandatés par les sociétés de gestion. Il existe mécaniquement un retard de valorisation leurs parcs immobiliers de près de deux ans.
En effet, là où le prix des SIIC est automatiquement réajustés par rapport aux attentes des investisseurs, le prix du parc immobilier des SCPI et OPCI est recalculé une fois par an (n-1), sur la base des prix constatés l’année d’avant (n-2).
Enfin, les sociétés gérant les SCPI & OPCI bénéficient d’une souplesse additionnelle pour fixer le prix des parts allant de +/- 10% de la valeur des dernières expertises réalisées (minorée des dettes éventuelles).
Les plans de soutien au service du rendement
Malgré une dégradation constatée des rendements des SCPI au 2ème et 3ème trimestre liée à des reports et pause consenties des loyers, le rendement s’est toutefois bien maintenu à 4,18% soit un très léger recul par rapport au niveau de 2019 de 4,4%. Cette bonne résistance est à nuancer par les plans de soutien massifs destinés aux entreprises dans la très grande majorité des pays. Ainsi la période a été marquée par une fragilisation des bilans par la désormais fameuse « dette Covid » mais aussi par un niveau de défaut des entreprises historiquement bas. Il est donc très difficile de dresser un constat définitif de l’impact du Covid ; les rendements étant artificiellement maintenus par des plans de soutien tant que les entreprises vivent sous assistance respiratoire. Les OPCI, contraintes, d’avoir une part des leurs allocations dans des actifs liquides (cotés) ont quand elles plus subies les marchés financiers et ont vu leurs rendements s’éroder nettement plus en s’établissant à 1,33%.
Sources : IEIF, Colbr.
En conclusion, si nous regardons plus particulièrement les produits d’épargne immobilière, les écarts de valorisation soulignent un Mispricing : soit une survalorisation des SCPI, soit une sous-valorisation des SIIC. Le caractère liquide des sociétés cotées, la qualité de leurs patrimoines (pour la plupart) et l’alignement de leurs intérêts avec leurs investisseurs en font une alternative très pertinente à nos yeux. Ceci d’autant qu’elles maitrisent beaucoup plus facilement leurs politiques de cessions et d’investissement qui leurs ont permis de réaliser d’importantes plus-values dans un contexte de marché complexe.
Un nouveau monde
L’immobilier commercial, au sens large, a donc été touché par la crise de plein fouet. De nombreuses questions structurelles se sont posées sur l’avenir du bureau et du commerce. Certains évènements ont marqué des tournants importants dans l’histoire du bureau avec par exemple la renonciation au bail de Pinterest pour 90 millions de dollars, la généralisation du télétravail chez PSA ou Facebook. Et la transformation digitale accélérée portée par des nouveaux champions comme Zoom et Teams. Le commerce a lui aussi accéléré sa mue en voyant la part du e-commerce augmenter de près de 9% en France pour atteindre un part de marché de 13,4%.
Si ces chiffres n’annoncent en rien la mort du commerce et du bureau, ils induisent en revanche, une vraie mutation durable qui devrait, une fois le robinet de liquidité fermé impacter les valeurs sérieusement. L’institut d’Épargne Immobilière et Foncière anticipe une réduction du parc immobilier tertiaire entre 1,7 et 11,8% d’ici 10 ans[4]. Cette réduction du parc immobilier est d’autant plus crédible qu’elle permettra aux entreprises (en fonction de leur recours au télétravail), de diminuer leur deuxième pôle de dépense après les salaires de de 12% à 36%.
Néanmoins, certains signaux permettent d’être plus nuancé. On pourrait voir apparaître une véritable polarisation du marché avec d’un côté les actifs biens placés, de qualité avec services et de l’autre un parc vétuste laissé à l’abandon. La crise a déjà commencé à le démontrer avec quelques rares signatures comme celle du nouveau siège Goldman Sachs dans l’immeuble SFL du 83 avenue Marceau (Paris 8ème) pour 6 500 m2 le 3 juin 2020.
Dans l’immobilier comme dans tous les secteurs de l’économie, il y a également eu des grands gagnants dans cette crise. Des gagnants « croissance » portés par le e-commerce avec la logistique et des gagnants « contra-cyclique » boostés par la notion de première nécessité : le résidentiel et la santé. Ces secteurs ont tous battu des records en termes de collecte en 2020 et ont entamé l’année 2021 avec la même dynamique. Il faudra être capable de discerner les bons gérants et surtout les bons marchés qui auront la profondeur nécessaire pour absorber ces afflux de capitaux.
[4] Pour calculer cet impact, l’IEIF est parti de la dernière estimation du parc de bureaux francilien réalisée par l’Observatoire régional de l’immobilier d’entreprise (ORIE) en Ile-de-France, soit 54,5 millions de m² au total et 50,9 millions de m² occupés (en retenant un taux de vacance de 6,6 % fin 2020) et a pris en compte les emplois de bureaux (privés et publics) recensés en Ile-de-France fin 2020, soit 2,5 millions d’emplois. Cela représente un ratio moyen de 20,4 m² occupés par emploi de bureau, et ce compris les quotes-parts d’espaces communs.
Nos recommandations
1- Pour les investisseurs dit patrimoniaux : nous avons sélectionné une solution d’investissement résidentiel (appartements) bien gérée, avec un focus sur des actifs peu spéculatifs, des rendements très satisfaisants (>6%) et des niveaux de risque locatif très faibles.
1- Pour les opportunistes, nous avons sélectionné :
– Un OPCVM investi exclusivement en foncières cotées européenne (SIIC) dont la stratégie de gestion à court et moyen terme vise à profiter du rebond de l’immobilier commercial. Rappelons également que les foncières disposent d’un patrimoine de qualité, d’un très bon niveau de performance environnementale (initié depuis plus de 10 ans), d’équipes expérimentées et agiles.
- Un fonds non coté et opportuniste dont la levée des fonds récente va permettre à la société de gestion d’investir sur des actifs d’immobilier commercial à des prix plus attractifs.
Gustav Sondén & Romain Joudelat, co-fondateurs de Colbr.
Sources
· Europe — CRE 360 report — BNP Paribas Real Estate, Fev.-21. Lien.
· H&M Group Press release — H&M, Dec-20. Lien.
· Amazon’s Net Profit Soars 84% With Sales Hitting $386 Billion — Forbes, Fev.-21. Lien.
· La maison-mère de Zara va fermer jusqu’à 1200 magasins — BFM Business — Juin-21. Lien.
· SCPI et OPCI : une collecte nette de 8 milliards d’euros en 2020 — ASPIM — Fev.-21. Lien.